jeudi 24 novembre 2011

Bienheureux les sobres ! Ils sauveront la Création

Bienheureux les sobres ! Ils sauveront la Création

La frugalité dans le discours social de l’Église

Diane de Zélicourt description auteur
Octobre 2010
« Sobriété heureuse », « Simplicité volontaire », frugalité, autant d’expressions utilisées par les partisans d’un nouveau modèle de consommation, non sans liens avec les courants de « décroissance » ou de « déconsommation ». Ces néologismes ou ces associations de termes novatrices témoignent de la recherche de modèles sociaux alternatifs. Mais si un effet de mode les place sur le devant de la scène, particulièrement dans les médias, on aurait tort de croire que dans les débats sur ce phénomène social qu’est la consommation, toute une tradition, dont celle de l’Église catholique, ne proposait pas déjà sa propre réflexion. À travers tout son enseignement social, on retrouve le rappel de cette idée de frugalité et de modération, forgée dès les premiers siècles de l’Église.

Frugalité et modération dans le discours de l’Église

Les concepts de sobriété et de modération ont toujours été au cœur d’une éthique chrétienne, qui s’est efforcée de se positionner face aux évolutions sociales de son temps.
Aux origines de cette idée de modération, on retrouve bien sûr l’héritage de la sagesse antique, qui en fait un outil au service de la maîtrise de soi, fondée sur un détachement des biens matériels et des passions du monde pour viser un équilibre de l’être et un développement harmonieux de la personne. Mais la pensée chrétienne ne s’est pas contentée de reprendre cet héritage, elle lui a donné une nouvelle dimension, en rappelant que la modération a aussi une visée sociale, d’ouverture sur l’autre. Si dans la pensée antique l’idée était déjà en germe avec, dans la lignée de Platon ou Aristote, le rappel que la modération était au service de l’assise politique d’une cité idéale, la pensée chrétienne a infléchi et approfondi cette perspective pour montrer qu’elle était une condition nécessaire de la justice sociale, profondément liée à la charité et au vivre ensemble. Une autre spécificité de la modération dans la perspective chrétienne réside dans sa dimension eschatologique : anticipation de la vie divine, elle laisse déjà la plus grande place aux biens spirituels, en opposition aux seuls biens matériels terrestres.
L’enracinement de cette notion, à travers une longue tradition de pensée, explique qu’elle ait été naturellement incorporée dans l’enseignement social de l’Église dès ses débuts. Elle a favorisé un regard lucide de l’Église sur les évolutions sociales, parmi lesquelles l’explosion de la consommation, et elle a soutenu les argumentations pour une mise en garde qui en ont découlé. Face à la consommation, l’Église a pu s’exprimer en phase avec d’autres critiques de son temps, voire avec une véritable avance ! Dès les années 1970, elle pointait ainsi du doigt l’incompatibilité entre certaines formes de consommation et ce qui soutient la définition d’un véritable développement humain. Cette même tradition de réflexion sur la modération l’a conduite à un tournant décisif dans sa critique de la consommation en abordant de plain-pied les thèmes de l’écologie et de la rareté des ressources, qui lui sont liés. Une lucidité qui invite encore à un regard critique sur bien des pratiques les plus concrètes, par exemple les appels de Benoît XVI à un tourisme responsable, affranchi du consumérisme.
Les idées de modération et de sobriété sont au cœur d’un mode de vie chrétien, dans sa recherche d’épanouissement et d’équilibre. La critique de l’Église de la consommation et de ses conséquences environnementales se situe bien sur un plan moral, en attestant l’existence de limites d’ordre supérieur qui doivent imposer aux individus de reconsidérer la définition donnée aux notions de mode de vie, de développement et d’environnement.

Trois échelles d’implication dans l’existence chrétienne

Modération et frugalité permettent de garantir un juste rapport de l’homme envers lui-même, envers le corps social, et envers l’environnement.
Une des principales visées de l’enseignement social de l’Église est la dignité de la personne humaine. Aussi n’est-il pas étonnant de le voir placer la modération comme une posture nécessaire face à la consommation. La vie ne saurait se résumer à l’accumulation de biens matériels. Dès les Trente Glorieuses, l’époque d’une première extension de la consommation de masse dans les pays occidentaux, l’Église appelle à la restauration d’une juste hiérarchie des valeurs. En 1991, l’encyclique de Jean-Paul IICentesimus annus rappelle que « quand on définit de nouveaux besoins, il est nécessaire qu’on s’inspire d’une image intégrale de l’homme qui respecte toutes les dimensions de son être et subordonne les dimensions physiques et instinctives aux dimensions intérieures et spirituelles. » L’Église se préoccupe sans cesse d’ouvrir la voie d’une redéfinition de la richesse et de la pauvreté, de l’être et de l’avoir, du qualitatif et du quantitatif.
Mais l’expression « société de consommation » souligne que la consommation, si elle affecte l’individu, affecte aussi le corps social dans son ensemble. L’Église s’engage donc pour montrer que la croissance économique n’est pas toujours corrélée au vrai développement des peuples et que la justice sociale en est l’une des premières victimes. La pérennité du modèle socio-économique pour les générations futures est un impératif qui fonde la responsabilité de la société. Si l’économie représente un pan important de l’activité humaine, celle-ci ne s’y résume pas, et on ne peut ériger celle-là en un absolu sans prendre en compte la dimension humaine du lien fraternel entre les hommes et les peuples. L’idée de destination universelle des biens, qui soumet l’usage des biens matériels au bien commun avant l’intérêt particulier, en exprime la vision.
Cet aspect collectif de la consommation débouche aussi sur la nécessité de fonder une nouvelle anthropologie dont l’Église se veut l’un des hérauts. La prise de conscience écologique l’a incitée à réfléchir au thème de la sauvegarde de la Création, et à en tirer des enseignements nouveaux pour définir une véritable écologie humaine. Celle-ci assigne à l’homme une juste place dans la création, avec un rapport modéré à tout ce qui la constitue : environnement, êtres vivants, humains. En ce sens, l’Église a sur ce point vraiment une position originale.
Or, malgré cette forte implication de l’Église, il faut reconnaître que l’enseignement social ne débouche pas toujours sur de vraies initiatives porteuses de changement. De quels moyens dispose-t-elle pour s’impliquer encore davantage dans le changement social ?

Quels leviers mobiliser pour mieux interpeller les chrétiens ?

Une première piste à sa disposition réside dans son riche patrimoine culturel qui gagnerait à être étudié et diffusé, plus qu’il ne l’est aujourd’hui. On trouve déjà chez les Pères de l’Église à partir du IVe siècle une réflexion sur la modération et la sobriété comme porteuses d’un mode de vie unifié. À cette époque, l’Église commençait à peine à profiter d’un climat de paix, sous le règne de Constantin, qui a permis le foisonnement des écrits théologiques dans une double direction : l’inculturation du christianisme et le développement de la théologie en lien avec une sagesse concrète. Le monachisme primitif, qui naît avec les Pères du désert, se situe en rupture avec le monde et l’accumulation des richesses dans les grandes villes, avec aussi l’enrichissement de l’Église. L’idéal de vie ascétique n’était sans doute pas destiné à s’appliquer à tous, mais il représentait une vraie illustration d’un principe de cohérence profonde entre foi et mode de vie, montrant que la morale chrétienne n’était pas une simple spéculation de l’esprit mais qu’elle animait aussi la vie quotidienne. D’autres Pères de l’Église, comme Saint Ambroise de Milan par exemple, ont, de leur côté, engagé une réflexion sur les problèmes sociaux-économiques que rencontrait leur communauté. Ils laissent un riche héritage sur des questions qui sont toujours d’actualité, comme la spéculation sur les matières premières agricoles, les exigences de justice sociale, la question de la propriété…
Mais pour davantage interpeller l’existence chrétienne, l’Église devrait aussi envisager de s’exprimer de manière plus audible sur une véritable éthique de la consommation. De nombreuses encycliques l’abordent comme un phénomène social, mais elle n’est pas assez envisagée comme lieu d’action pour les individus, alors qu’elle s’inscrit dans un comportement quotidien, qui, par l’ampleur de ses effets sur les modes de vie, peut être utilisé comme un levier efficace. Deux points du discours chrétien peuvent être mis en avant. Tout d’abord, l’idée d’une vision élargie de la consommation, qui ne se limite pas à un acte d’achat, mais prend en compte un questionnement, en amont, sur la phase de production des produits et, en aval, sur le devenir de ces produits après leur utilisation. Et, l’idée selon laquelle chaque achat cache une vraie chaîne humaine, qui relie différentes figures. Les figures du producteur, du consommateur, de l’utilisateur font toutes partie de l’acte de consommation. Celui-ci peut être un terrain propice à l’exercice de la solidarité et de la justice sociale, avec de fortes répercussions dès qu’il prend en compte la figure de l’autre au-delà de la simple transaction marchande. On est sur un lieu essentiel de responsabilité, puisque tout achat donne une caution implicite à toutes les pratiques que l’acheteur ne voit pas.
Une troisième piste à explorer est celle du dialogue avec les autres courants qui jettent un regard critique sur la consommation et proposent des voies alternatives. Il existe un fond commun sur de nombreux thèmes de réflexion et l’Église ne détient pas le monopole de l’idée d’un projet de société différente, d’une « société conviviale », d’une consommation qui, en définitive raffermit les liens humains. Il y a aussi une opportunité pour l’Église de s’inspirer de pratiques mises en œuvre par certains mouvements critiques de la consommation, l’économie sociale et solidaire par exemple, pour aborder de manière concrète l’action sociale. Si le fond théorique de l’enseignement social chrétien est solide, sa traduction concrète, orientée vers l’action, fait encore défaut. Pourtant, non seulement il existe aujourd’hui de très nombreuses initiatives innovantes qui proposent un renouvellement des pratiques sociales, et inscrivent des principes d’action en choix de société, mais l’Église elle-même est la première à rappeler cette exigence d’action, qui s’affirme comme un leitmotiv à travers la doctrine sociale. Mais à quoi bon prôner « l’urgente nécessité d’un changement des attitudes », le « changement de conduite », le « changement de mentalité, de comportement et de structures », comme le disent de nombreuses encycliques, si l’enseignement de la doctrine sociale ne se convertit pas lui-même en actes ?

Diane de Zélicourt,

Diane de Zélicourt, ancienne élève de HEC Paris. Elle y a défendu en juin 2009 un mémoire intitulé : « Les valeurs chrétiennes traditionnelles de modération vis-à-vis de la consommation peuvent-elles encore faire sens pour supporter une attitude de déconsommation ? ».

Pour citer cette page

Diane de Zélicourt, « Bienheureux les sobres ! Ils sauveront la Création », La fabrique de la doctrine sociale, Ceras - revueProjet. URL : http://www.ceras-projet.com/index.php?id=2554.

Éloge de la modération

Agriculteur d'origine algérienne et homme politique, Pierre Rabhi défend un mode de société plus respectueux des populations et de la terre et soutient l'agroécologie. Il livre dans son dernier ouvrage une fine analyse de nos maux actuels et un vibrant témoignage de son engagement. Quant à Jean-Baptiste de Foucauld, haut fonctionnaire français, chrétien de gauche et ancien commissaire au Plan, il fustige la quête illusoire du toujours plus. Les deux prônent la modération pour plus de justice et de créativité.

L'un parle de sobriété heureuse, l'autre d'abondance frugale. Le premier, Pierre Rabhi, en a fait un mode de vie. Le second, Jean-Baptiste de Foucauld, une conviction ancrée dans l'action. Tous deux sont des militants d'une nouvelle forme de société où l'humain serait enfin réhabilité. Leur constat est sans appel : la crise que nous vivons n'a rien de vraiment étonnant. Ni simplement financière, ni juste économique, cette crise est devenue au fil du temps systémique. Pour Jean-Baptiste de Foucauld nous sommes confrontés simultanément à cinq crises. En premier lieu, celle du sens, « l'individu n'ayant plus pour référence que lui-même et ses satisfactions », et pour boussole le développement économique. Sociale aussi, où toute mésentente, même mineure, vaut rupture et où les plus fragiles n'ont plus leur place. Écologique évidemment, par un fossé qui ne cesse de se creuser entre la conscience et les actes. Enfin financière et économique, sous forme de gouttes d'eau qui font déborder le vase, « symptômes avancés d'une société marquée par l'excès ».
Résultat : la satisfaction des désirs étant devenue normale, symétriquement, c'est l'insatisfaction qui choque. Pire : les désirs excèdent désormais les possibilités de les assouvir, rendant la situation sociale explosive. Et les deux auteurs de n'entrevoir qu'une seule solution : revoir notre mode de vie. « Le principe d'abondance frugale et solidaire, déclinable à tous les niveaux, doit servir de clé pour sortir par le haut de ce dédale de contradictions », écrit Jean-Baptiste de Foucauld. Il conseille de « revisiter les pactes faustien et prométhéen avec le marché », de redécouvrir la notion de limite. Pour Pierre Rabhi, nous en sommes aux balbutiements : « Une pensée nouvelle provoquée par l'échec de Prométhée est en train de naître avec la prise en compte de réalités écologiques et sociales de plus en plus dramatiques. » Il veut croire en notre capacité de dépasser « cette mortelle fascination pour l'argent et la technologie, cette rationalité sans âme d'un monde propice à l'ennui et au désabusement, pour renouer avec la sensibilité et l'intuition ». La solution revient à quitter notre dépendance à la modernité : « La prolifération d'outils semble en fait avoir pour seul but de nous rendre la frénésie supportable, alors qu'il serait impératif de la remettre en question comme l'anomalie majeure qu'elle est », dénonce Pierre Rabhi.
On redoute les pièges du discours moralisateur et simpliste, du « c'était mieux avant », de l'apologie de l'austérité, de la résignation fataliste. Il n'en est rien. Les deux penseurs les évitent soigneusement avec force arguments et analyses, sans jamais négliger la complexité de la situation. Faisant preuve à la fois de sagesse et de lucidité, ils proposent un nouvel élan pour rééquilibrer la machine infernale. Hiérarchiser les désirs, distinguer le fondamental de l'accessoire et rendre effectif le droit égal au désir légitime de chacun, voilà un début de programme. « Le désir humain est trop porté actuellement sur les satisfactions matérielles et symboliques tirées de l'activité professionnelle et il a trop négligé ces deux autres dimensions essentielles du désir que sont les dimensions relationnelles et spirituelles », défend Jean-Baptiste de Foucauld. Rappelant les limites imposées par la constitution de la planète Terre, Pierre Rabhi répond en écho que le principe de croissance économique infinie est désormais absurde et irréaliste.
Dès lors il va nous falloir répondre à la question qui fâche : « Travaillons-nous pour vivre ou vivons-nous pour travailler ? » Savoureuse, l'anecdote que nous conte à ce sujet Pierre Rabhi, lorsqu'il s'engage en 1961 avec sa femme Michèle dans le projet de développer une exploitation agricole dans les Cévennes. Les voilà qui tombent sous le charme de 4 hectares de garrigue sèche et rocailleuse, déconcertant d'emblée le directeur de l'agence du Crédit Agricolegricole consulté pour un prêt. Celui-ci, désireux de les aider, propose alors 40 hectares dans une plaine fertile assortis d'un prêt de 400.000 francs pour une exploitation où, dit-il, « ils feront de l'argent », plutôt que les 15.000 francs réclamés, avec lesquels ils « feront périr leur famille ». Si la famille Rabhi réussit à obtenir son prêt, elle a échoué à faire entendre au banquier de l'époque, gagné à l'idéologie du productivisme agricole, que la beauté du lieu, son silence et sa lumière représentaient des valeurs inestimables au point de déterminer leur choix en dépit de critères agronomiques défavorables. Ils y vivent depuis quarante-cinq ans, ayant dès lors opté pour une « heureuse sobriété ». Vivant témoignage du caractère fallacieux de la réussite sociale telle qu'elle est aujourd'hui présentée et de ses corollaires, l'excellence et la compétitivité.
Comment ne pas souscrire alors avec enthousiasme à cette leçon d'humanité, à ce projet collectif dans lequel chacun doit retrousser ses manches ? Mais difficile de suivre le chemin esquissé par les deux auteurs. Ils nous demandent de changer de paradigme, non de renoncer à l'abondance, mais d'en convertir le sens, et de s'engager dans la frugalité. En clair, selon Jean-Baptiste de Foucauld, un plein emploi de qualité, à temps choisi, avec une bonne protection sociale et un environnement hospitalier. Et pour Pierre Rabhi, entretenir l'indignation pour ne tomber ni dans l'indifférence ni dans la fatalité, s'exercer au libre arbitre, mettre en place un art de vivre personnel fondé sur l'autolimitation. Enfin et surtout, développer une pédagogie de l'être qui permette aux enfants de naître à eux-mêmes et abolir ce climat de compétition qui leur donne l'impression que le monde est une arène, physique et psychique, produisant l'angoisse d'échouer au détriment de l'enthousiasme d'apprendre. Il est urgent de lire ces deux ouvrages pour y découvrir que l'initiation à la modération est source de joie, plus sûrement que nos appartements et nos penderies saturés. La satisfaction devenant plus accessible, elle abolit la frustration que produit pernicieusement le toujours plus. CQFD. Sophie Péters
« L'Abondance frugale. Pour une nouvelle solidarité », de Jean-Baptiste de Foucauld. Éditions Odile Jacob (288 pages, 23 euros).
« Vers la sobriété heureuse », de Pierre Rabhi. Éditions Actes Sud (144 pages, 15 euros).

La frugalité heureuse : chemin pour l’avenir de l’homme

               La frugalité heureuse : chemin pour l’avenir de l’homme

 Le théologien catholique Maurice Bellet,  remarque que les sociétés du Nord vivent selon un double principe :
  • le principe technologique selon lequel, tout ce qui est possible, nous le ferons ;
  • le principe économique selon lequel, tout ce qui nous fait envie, nous l’aurons.
Ce double attrait pour la toute puissance et la possession engendre un développement sans limites aux effets pervers nombreux et dramatiques, parmi lesquels une destruction accélérée de l’environnement et la misère du plus grand nombre.

Dans un monde fini, il y a un rapport direct entre la consommation des uns et le manque des autres. La richesse des uns a un revers : la misère des autres.
La société de consommation érigée comme une fin en soi et oublieuse du bien commun, apparaît comme une violence majeure. Toute appropriation  qui ne correspond pas à un vrai besoin est un détournement, donc un vol.
St Jean Chrysostome, évêque de Constantinople au IVème siècle, cité  par le Catéchisme de l’Eglise catholique, disait : « ne pas faire participer les pauvres à ses propres biens, c’est les voler et leur enlever la vie. Ce ne sont pas nos biens que nous détenons, mais les leurs. »
L’Eglise en arrive à considérer comme moralement inacceptable toute pensée économique dont la finalité n’est pas la destination universelle des biens ; un tel système relève tout bonnement  du septième commandement qui condamne le vol.

            Le souci de la justice la plus élémentaire impose de remettre en cause le double principe évoqué par Maurice Bellet et qui fonde, de fait, la pensée unique.

Deux axes s’imposent :
  • sur le plan collectif, remettre en cause le modèle de développement et les modes de vie dominants ;
  • sur le plan individuel, témoigner par un engagement personnel fort. L’engagement pour une frugalité heureuse est un moyen pertinent pour dire  « non » à cette forme de violence.

                         

Une sobriété juste

« Vivre simplement pour que d’autres puissent simplement vivre » affirmait Gandhi-dji : souci de justice et  lutte contre la pauvreté sont déterminants dans le choix de la frugalité.
  • Puisqu’il y a un rapport direct entre la surconsommation des uns et la sous-consommation des autres.
  • Puisque consommer et dépenser sans discernement, en refusant d’en voir  les conséquences, c’est se fermer, même inconsciemment, à la nécessaire justice pour tous.
  • Alors, aller à contre-courant d’une consommation sans retenue apparaît comme un véritable moyen de résistance à l’injustice.

Une sobriété « politique »
La frugalité est une manière très concrète de vivre la solidarité avec les pauvres. Elle devient « politique » quand elle s’affirme comme une contestation du système de répartition des richesses et qu’elle se veut recherche de solutions et initiatives collectives alternatives. 
Dans le contexte actuel de mondialisation, d’ultralibéralisme, de menaces sur l’environnement,  l’enjeu apparaît d’importance en mettant l’accent sur un autre modèle de développement, qui ne passe plus par l’acquisition sans fin de biens, on cesse aussi de faire désirer  un mode de vie  qui n’est pas généralisable.

                         

 Une sobriété libératrice

Choisie librement, la sobriété conduit  à marquer une rupture à l’égard de toute richesse poursuivie pour elle-même. Dans la mesure où elle nécessite un  discernement pour user des choses en conscience et en vérité, elle devient un instrument de libération par rapport aux « idoles » de la société de consommation. Et permet des prises de conscience.
Et si la sobriété n’était pas restriction mais libération ?  
Et si la pauvreté recherchée était une richesse ?  Celle d’être libre et disponible à ce à quoi le cœur humain aspire au plus profond de lui-même ?
Et s’il était vrai qu’il y a une misère des riches ? Jésus ne craint pas d’affirmer qu’« Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer au Royaume des Cieux » (Mt 19,24)
Dans cet esprit, la sobriété apparaît comme une démarche spirituelle qui nous permet de porter plus loin le regard. Vécue comme un détachement et une libération des faux besoins, elle favorise aussi la disponibilité et le dynamisme nécessaires pour se tenir aux côtés de tous ceux qui sont démunis et écrasés par l’injustice.

Un engagement moral

Le choix de la frugalité est en lien avec le refus d’un « péché capital » : la gourmandise qu’il faut éviter de limiter aux excès alimentaires. Comme les autres péchés capitaux, la gourmandise, en nous centrant sur nous-mêmes, nous conduit à ignorer les besoins des autres. Les dérives dans lesquelles elles entraînent nous détruisent physiquement, nous détournent des vraies valeurs et nous enferment dans des besoins futiles dont les autres sont exclus.
Renoncer aux consommations inutiles est donc une manière de vivre de plus près l’Évangile et de renouer avec les traditions les plus anciennes de l’Église.

Une sobriété heureuse

La première des béatitudes évangéliques associe  bonheur et  pauvreté (Mt 5,3). La pauvreté n’est pas la misère qu’il convient de combattre, c’est pour cela sans doute que Matthieu, contrairement à Luc, parle de pauvreté de cœur. Une pauvreté subie ne rend pas heureux, il faut au moins quelle soit assumée et de préférence choisie. Mais l’inverse est problématique : celui qui prétend être pauvre de cœur sans se méfier de ses richesses et sans les partager peut être accusé d’hypocrisie. La sobriété se situe du côté de la pauvreté quand elle est partage. Et donc du bonheur. Et donc de la fête. Il est remarquable que les plus belles fêtes, celles qui témoignent du respect et de la convivialité, ne mettent pas l’accent sur l’avoir.
Il faudrait éviter de confondre la frugalité avec la seule privation. Refuser les plaisirs et les moyens de s’épanouir risque de conduire à l’acédie, un autre péché capital (à ne pas  confondre avec la paresse) et qui se caractérise par la perte du goût de la vie et des richesses spirituelles. Le but n’est pas de casser en nous l’envie de se dépasser et d’aimer, le désir de grandir dans la sainteté, d’exister comme personne, bien au contraire. La sobriété qui est méditation sur la nature réelle des besoins et des désirs ouvre des perspectives sur ce qui est capable de combler vraiment nos aspirations profondes.

 Un appel à la sobriété qui n’est pas réservé aux riches

La pauvreté peut enfermer elle-aussi quand elle ne s’ouvre pas sur la solidarité et Jésus a fait l’éloge de la veuve pauvre qui a donné de son nécessaire quand d’autres se contentent de lâcher un peu de leur superflu (Marc 12, 42-44). Avec l’âge vient aussi la tentation du repliement sur soi, sur ce que l’on a appris, sur des pratiques anciennes. Les jugements sur ce que font les autres deviennent un obstacle à l’amour partagé. L’ouverture à la nouveauté est alors une sorte de frugalité et la pingrerie ne saurait être confondue avec une vertu.
La frugalité est un renoncement choisi ou assumé. Elle ne prend toutes ses dimensions que quand elle se vit dans l’ouverture et le respect de la Création.

Une sobriété exigeante

Il n’y a pas de justice sociale sans remise en cause personnelle.  Il en résulte la nécessité de changer de regard, de faire des « expériences avec la vérité », d’engager toute sa vie. La sobriété ne consiste pas seulement à faire des économies  mais à s’interroger sur le superflu, le nécessaire, les conséquences sociales et environnementales de la consommation ; d’où un nécessaire travail de discernement.

  • Mes achats correspondent-ils à un besoin ?
  • Quels sont mes critères d’achats (provenance des produits, commerce équitable, produits éthiques, petits producteurs, artisans, commerçants…) ?
  • Quelle est ma responsabilité dans l’usage que je fais des biens (eau, déplacements, utilisation du matériel, soins médicaux…) ?
  • Comment gérer les placements (fonds de partage gérés par une société financière coopérative à but non lucratif),  les biens immobiliers ?
  • Quels sont les partages que je juge essentiels ? Et ceux qu’il me reste à faire !
  • De quoi ai-je besoin de me libérer pour vivre plus de solidarité ?

Et si ce travail de discernement, de réflexion, d’analyse, de confrontation, de choix de nos modes de gestion et de consommation se fait collectivement, alors la sobriété est aussi créatrice de lien social et de convivialité.

Tel nous apparaît l’engagement vers plus de sobriété, fait de tempérance, de modération, de retenue, de frugalité, de simplicité, de mesure ; tel il nous apparaît, capable de contribuer à l’instauration de plus de justice.

Ce texte s’inspire d’un document élaboré par la commission Non-Violence de Pax Christi France

dimanche 20 novembre 2011

Benoit XVI et LE RESPECT DE LA CRÉATION ET DE L'ÉCOSYSTÈME


79. Avec les Pères du Synode, j’invite tous les membres de l’Église à œuvrer et à plaider en faveur d’une économie soucieuse des pauvres et résolument opposée à un ordre injuste qui, sous prétexte de réduire la pauvreté, a souvent contribué à l’aggraver.[120] Dieu a donné à l’Afrique d’importantes ressources naturelles. Face à la pauvreté chronique de ses populations, victimes d’exploitation et de malversations locales et étrangères, l’opulence de certains groupes choque la conscience humaine. Edifiés pour la création de richesses dans leurs propres nations et souvent avec la complicité de ceux qui exercent le pouvoir en Afrique, ces groupes assurent trop souvent leur propre fonctionnement au détriment du bien-être des populations locales.[121] Agissant en collaboration avec toutes les autres composantes de la société civile, l’Église doit dénoncer l’ordre injuste qui empêche les peuples africains de consolider leurs économies[122] et « de se développer selon leurs caractéristiques culturelles ».[123] Il est, en outre, du devoir de l’Église de lutter pour « que chaque peuple puisse être lui-même le principal artisan de son progrès économique et social[…] et puisse prendre part à la réalisation du bien commun universel comme membre actif et responsable de la société humaine, sur un plan d’égalité avec les autres peuples ».[124]
80. Des hommes et des femmes d’affaires, des gouvernements, des groupes économiques s’engagent dans des programmes d’exploitation, qui polluent l’environnement et causent une désertification sans précédent. De graves atteintes sont portées à la nature et aux forêts, à la flore et à la faune, et d’innombrables espèces risquent de disparaître à tout jamais. Tout cela menace l’écosystème tout entier et, par conséquence la survie de l’humanité.[125] J’exhorte l’Église en Afrique à encourager les gouvernants à protéger les biens fondamentaux que sont la terre et l’eau, pour la vie humaine des générations présentes et futures[126] et pour la paix entre les populations.

Extraits de l'exhortation apostolique Africae Munus du Pape Benoit XVI (novembre 2011)