jeudi 29 septembre 2011

Vers un changement des modes de vie, éléments de réflexion sur la sobriété heureuse

LE VŒU DE SOBRIETE, UNE RESISTANCE NON VIOLENTE

                     Nous sommes quelques-uns, dans le cadre de la « Commission Non-violence » de Pax Christi-France, à nous interroger sur une des violences majeures qui frappent les femmes et les hommes de ce temps : la violence économique. Le texte qui suit reprend certaines de nos réflexions et une proposition d’action.


Le théologien catholique Maurice Bellet,  remarque que les sociétés du Nord vivent selon un double principe :
le principe technologique selon lequel, tout ce qui est possible, nous le ferons ;
le principe économique selon lequel, tout ce qui nous fait envie, nous l’aurons.
Cette tension inextinguible engendre un développement illimité  aux effets pervers nombreux et dramatiques, parmi lesquels une destruction accélérée de l’environnement et la misère du plus grand nombre.

Dans un monde fini, il y a un rapport direct entre la consommation des uns et le manque des autres. Gandhi-dji l’avait bien compris.  A des proches l’interrogeant sur ce que sera l’Inde libérée : « Bapou, quand nous aurons obtenu notre indépendance, nous ferons comme les Anglais, nous développerons notre industrie, n’est ce pas ? », il s’était empressé de répondre :  « Pas du tout, car, voyez-vous, si l’Angleterre a besoin d’asservir la moitié de la planète pour asseoir sa prospérité, de combien de planètes un grand pays comme l’Inde aura t’il besoin ? »
La richesse des uns a un revers : la misère des autres.
La société de consommation érigée comme une fin en soi,  abstraction faite du bien commun, apparaît comme une violence majeure. Toute appropriation  qui ne correspond pas à un besoin est un détournement, donc un vol. C’est aussi ce que disait Gandhi-dji : « celui qui mange une pomme sans avoir faim, celui-là est un voleur. »
St Jean Chrysostome, évêque de Constantinople au IVeme siècle, cité  par le Catéchisme de l’Eglise catholique, tenait un discours similaire: « ne pas faire participer les pauvres à ses propres biens, c’est les voler et leur enlever la vie. Ce ne sont pas nos biens que nous détenons, mais les leurs. »
L’Eglise en arrive à considérer comme moralement inacceptable toute pensée économique dont la finalité n’est pas la destination universelle des biens ; un tel système relève tout bonnement  du septième commandement qui condamne le vol.

            Le souci de la justice la plus élémentaire impose de remettre en cause le double principe évoqué par Maurice Bellet et qui fonde, de fait, la pensée unique.  Le souci de la justice impose d’entrer en résistance.

Deux axes s’imposent, selon nous :
-          sur le plan collectif, remettre en cause le modèle de développement et les modes de vie dominants ;
-          sur le plan individuel, témoigner par un engagement personnel fort. Le vœu de sobriété, dont Gandhi-dji demandait la stricte application dans son Satyâgraha âshram, nous apparaît comme un moyen pertinent pour dire  non à cette forme de violence.

                         

                        Une sobriété juste

« Vivre simplement pour que d’autres puissent simplement vivre » affirmait Gandhi-dji : souci de justice et  lutte contre la pauvreté sont déterminants dans le choix de ce vœu.
Puisqu’il y a un rapport direct entre la surconsommation des uns et la sous-consommation des autres.
Puisque consommer et dépenser sans discernement, en  refusant d’en voir  les conséquences, c’est se fermer, même inconsciemment, à la nécessaire justice pour tous (les exemples sont nombreux, à commencer par les rapports  Nord/Sud…)
Alors, aller à contre-courant d’une consommation sans retenue apparaît comme un véritable moyen de résistance à l’injustice.

Une sobriété « politique »
La sobriété est une manière très concrète de vivre la solidarité avec les pauvres. Elle devient « politique » quand elle s’affirme comme une contestation du système de répartition des richesses et qu’elle se veut recherche de solutions et initiatives collectives alternatives. 
Dans le contexte actuel de mondialisation, d’ultralibéralisme, de menaces sur l’environnement,  l’enjeu apparaît d’importance :  en mettant l’accent sur un autre modèle de développement, qui ne passe plus par l’acquisition sans fin de biens, on cesse aussi de faire désirer  un mode de vie  qui n’est pas généralisable.

                         

                        Une sobriété libératrice

Choisie librement, la sobriété conduit  à marquer une rupture à l’égard de toute richesse poursuivie pour elle-même. Dans la mesure où elle nécessite un  discernement pour user des choses en conscience et en vérité, elle devient un instrument de libération par rapport aux « idoles » de la société de consommation. Et permet des prises de conscience.
Et si la sobriété n’était pas restriction mais libération ? 
Et si la pauvreté était une richesse ? 
Et s’il était vrai qu’il y a une misère des riches ? Jésus ne craint pas d’affirmer qu’« Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer au Royaume des Cieux » (Mt 19,24)
Dans cet esprit, la sobriété apparaît comme une démarche spirituelle qui nous permet de porter plus loin le regard. Vécue comme un détachement, elle favorise aussi la disponibilité et le dynamisme nécessaires pour se tenir aux côtés de tous ceux qui sont démunis et écrasés par l’injustice.

                        Une sobriété heureuse

La première des béatitudes évangéliques associe  bonheur et  pauvreté (Mt 5,3). La pauvreté n’est pas la misère qu’il convient de combattre : « Supprimez la misère et cultivez la pauvreté » disait encore Gandhi-dji. La sobriété se situe du côté de la pauvreté. Et donc du bonheur. Et donc de la fête. Il est remarquable que les plus belles fêtes, celles qui témoignent du respect et de la convivialité, sont toujours celles où l’être prime sur l’avoir. 
La sobriété qui est méditation  sur la nature réelle des besoins et des désirs ouvre des perspectives sur ce qui est capable de combler vraiment nos aspirations profondes.

                        Une sobriété exigeante

Il n’y a pas de justice sociale sans remise en cause personnelle.  Il en résulte la nécessité de changer de regard, de faire des « expériences avec la vérité », d’engager toute sa vie. 
La sobriété ne consiste pas seulement à faire des économies  mais à s’interroger sur le superflu, le nécessaire, les conséquences sociales et environnementales de la consommation ; d’où un nécessaire travail de discernement.
Mes achats correspondent-ils à un besoin ?
Quels sont mes critères d’achats (commerce équitable, produits éthiques, petits producteurs, artisans, commerçants…) ?
Quelle est ma responsabilité dans l’usage que je fais des biens (eau, déplacements, utilisation du matériel, abus des soins médicaux …) ?
Comment gérer les placements (fonds de partage gérés par une société financière coopérative à but non lucratif),  les biens immobiliers ?
Autant de questions qui demandent l’élaboration d’une grille de réflexion sur la consommation.
Et si ce travail de discernement, de réflexion, d’analyse, de confrontation, de choix de nos modes de gestion et de consommation se fait collectivement, alors la sobriété est aussi créatrice de lien social et de convivialité.

Tel nous apparaît  le vœu de sobriété, fait de tempérance, de modération, de retenue, de frugalité, de simplicité, de mesure ; tel il nous apparaît, capable de contribuer à l’instauration de plus de justice.

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