jeudi 24 novembre 2011

La frugalité heureuse : chemin pour l’avenir de l’homme

               La frugalité heureuse : chemin pour l’avenir de l’homme

 Le théologien catholique Maurice Bellet,  remarque que les sociétés du Nord vivent selon un double principe :
  • le principe technologique selon lequel, tout ce qui est possible, nous le ferons ;
  • le principe économique selon lequel, tout ce qui nous fait envie, nous l’aurons.
Ce double attrait pour la toute puissance et la possession engendre un développement sans limites aux effets pervers nombreux et dramatiques, parmi lesquels une destruction accélérée de l’environnement et la misère du plus grand nombre.

Dans un monde fini, il y a un rapport direct entre la consommation des uns et le manque des autres. La richesse des uns a un revers : la misère des autres.
La société de consommation érigée comme une fin en soi et oublieuse du bien commun, apparaît comme une violence majeure. Toute appropriation  qui ne correspond pas à un vrai besoin est un détournement, donc un vol.
St Jean Chrysostome, évêque de Constantinople au IVème siècle, cité  par le Catéchisme de l’Eglise catholique, disait : « ne pas faire participer les pauvres à ses propres biens, c’est les voler et leur enlever la vie. Ce ne sont pas nos biens que nous détenons, mais les leurs. »
L’Eglise en arrive à considérer comme moralement inacceptable toute pensée économique dont la finalité n’est pas la destination universelle des biens ; un tel système relève tout bonnement  du septième commandement qui condamne le vol.

            Le souci de la justice la plus élémentaire impose de remettre en cause le double principe évoqué par Maurice Bellet et qui fonde, de fait, la pensée unique.

Deux axes s’imposent :
  • sur le plan collectif, remettre en cause le modèle de développement et les modes de vie dominants ;
  • sur le plan individuel, témoigner par un engagement personnel fort. L’engagement pour une frugalité heureuse est un moyen pertinent pour dire  « non » à cette forme de violence.

                         

Une sobriété juste

« Vivre simplement pour que d’autres puissent simplement vivre » affirmait Gandhi-dji : souci de justice et  lutte contre la pauvreté sont déterminants dans le choix de la frugalité.
  • Puisqu’il y a un rapport direct entre la surconsommation des uns et la sous-consommation des autres.
  • Puisque consommer et dépenser sans discernement, en refusant d’en voir  les conséquences, c’est se fermer, même inconsciemment, à la nécessaire justice pour tous.
  • Alors, aller à contre-courant d’une consommation sans retenue apparaît comme un véritable moyen de résistance à l’injustice.

Une sobriété « politique »
La frugalité est une manière très concrète de vivre la solidarité avec les pauvres. Elle devient « politique » quand elle s’affirme comme une contestation du système de répartition des richesses et qu’elle se veut recherche de solutions et initiatives collectives alternatives. 
Dans le contexte actuel de mondialisation, d’ultralibéralisme, de menaces sur l’environnement,  l’enjeu apparaît d’importance en mettant l’accent sur un autre modèle de développement, qui ne passe plus par l’acquisition sans fin de biens, on cesse aussi de faire désirer  un mode de vie  qui n’est pas généralisable.

                         

 Une sobriété libératrice

Choisie librement, la sobriété conduit  à marquer une rupture à l’égard de toute richesse poursuivie pour elle-même. Dans la mesure où elle nécessite un  discernement pour user des choses en conscience et en vérité, elle devient un instrument de libération par rapport aux « idoles » de la société de consommation. Et permet des prises de conscience.
Et si la sobriété n’était pas restriction mais libération ?  
Et si la pauvreté recherchée était une richesse ?  Celle d’être libre et disponible à ce à quoi le cœur humain aspire au plus profond de lui-même ?
Et s’il était vrai qu’il y a une misère des riches ? Jésus ne craint pas d’affirmer qu’« Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer au Royaume des Cieux » (Mt 19,24)
Dans cet esprit, la sobriété apparaît comme une démarche spirituelle qui nous permet de porter plus loin le regard. Vécue comme un détachement et une libération des faux besoins, elle favorise aussi la disponibilité et le dynamisme nécessaires pour se tenir aux côtés de tous ceux qui sont démunis et écrasés par l’injustice.

Un engagement moral

Le choix de la frugalité est en lien avec le refus d’un « péché capital » : la gourmandise qu’il faut éviter de limiter aux excès alimentaires. Comme les autres péchés capitaux, la gourmandise, en nous centrant sur nous-mêmes, nous conduit à ignorer les besoins des autres. Les dérives dans lesquelles elles entraînent nous détruisent physiquement, nous détournent des vraies valeurs et nous enferment dans des besoins futiles dont les autres sont exclus.
Renoncer aux consommations inutiles est donc une manière de vivre de plus près l’Évangile et de renouer avec les traditions les plus anciennes de l’Église.

Une sobriété heureuse

La première des béatitudes évangéliques associe  bonheur et  pauvreté (Mt 5,3). La pauvreté n’est pas la misère qu’il convient de combattre, c’est pour cela sans doute que Matthieu, contrairement à Luc, parle de pauvreté de cœur. Une pauvreté subie ne rend pas heureux, il faut au moins quelle soit assumée et de préférence choisie. Mais l’inverse est problématique : celui qui prétend être pauvre de cœur sans se méfier de ses richesses et sans les partager peut être accusé d’hypocrisie. La sobriété se situe du côté de la pauvreté quand elle est partage. Et donc du bonheur. Et donc de la fête. Il est remarquable que les plus belles fêtes, celles qui témoignent du respect et de la convivialité, ne mettent pas l’accent sur l’avoir.
Il faudrait éviter de confondre la frugalité avec la seule privation. Refuser les plaisirs et les moyens de s’épanouir risque de conduire à l’acédie, un autre péché capital (à ne pas  confondre avec la paresse) et qui se caractérise par la perte du goût de la vie et des richesses spirituelles. Le but n’est pas de casser en nous l’envie de se dépasser et d’aimer, le désir de grandir dans la sainteté, d’exister comme personne, bien au contraire. La sobriété qui est méditation sur la nature réelle des besoins et des désirs ouvre des perspectives sur ce qui est capable de combler vraiment nos aspirations profondes.

 Un appel à la sobriété qui n’est pas réservé aux riches

La pauvreté peut enfermer elle-aussi quand elle ne s’ouvre pas sur la solidarité et Jésus a fait l’éloge de la veuve pauvre qui a donné de son nécessaire quand d’autres se contentent de lâcher un peu de leur superflu (Marc 12, 42-44). Avec l’âge vient aussi la tentation du repliement sur soi, sur ce que l’on a appris, sur des pratiques anciennes. Les jugements sur ce que font les autres deviennent un obstacle à l’amour partagé. L’ouverture à la nouveauté est alors une sorte de frugalité et la pingrerie ne saurait être confondue avec une vertu.
La frugalité est un renoncement choisi ou assumé. Elle ne prend toutes ses dimensions que quand elle se vit dans l’ouverture et le respect de la Création.

Une sobriété exigeante

Il n’y a pas de justice sociale sans remise en cause personnelle.  Il en résulte la nécessité de changer de regard, de faire des « expériences avec la vérité », d’engager toute sa vie. La sobriété ne consiste pas seulement à faire des économies  mais à s’interroger sur le superflu, le nécessaire, les conséquences sociales et environnementales de la consommation ; d’où un nécessaire travail de discernement.

  • Mes achats correspondent-ils à un besoin ?
  • Quels sont mes critères d’achats (provenance des produits, commerce équitable, produits éthiques, petits producteurs, artisans, commerçants…) ?
  • Quelle est ma responsabilité dans l’usage que je fais des biens (eau, déplacements, utilisation du matériel, soins médicaux…) ?
  • Comment gérer les placements (fonds de partage gérés par une société financière coopérative à but non lucratif),  les biens immobiliers ?
  • Quels sont les partages que je juge essentiels ? Et ceux qu’il me reste à faire !
  • De quoi ai-je besoin de me libérer pour vivre plus de solidarité ?

Et si ce travail de discernement, de réflexion, d’analyse, de confrontation, de choix de nos modes de gestion et de consommation se fait collectivement, alors la sobriété est aussi créatrice de lien social et de convivialité.

Tel nous apparaît l’engagement vers plus de sobriété, fait de tempérance, de modération, de retenue, de frugalité, de simplicité, de mesure ; tel il nous apparaît, capable de contribuer à l’instauration de plus de justice.

Ce texte s’inspire d’un document élaboré par la commission Non-Violence de Pax Christi France

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